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Libération

Après coup. Le styx gelé.

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publié le 5 mars 1999 à 0h01

Un bon reportage n'a pas besoin d'images spectaculaires ni

d'accélérations artificielles. Il trouve souvent son rythme dans sa lenteur: dans l'obsession, la rumination, l'éternel retour aux quelques images qui, ayant le temps de vivre, de grandir en nous sans que le montage en avorte, signifient quelque chose. Mercredi, sur France 3, Des racines et des ailes diffuse celui de Michel Scott, effectué en douce à l'extrême-nord de la frontière entre Chine et Corée du Nord. Côté chinois, bien sûr. Ici, les Coréens vivent de part et d'autre. Ceux de Chine accueillent et protègent leurs cousins fuyant l'autre côté. Ils le font en dépit de l'interdiction des autorités chinoises. La frontière est une rivière. La plupart du temps, elle est infranchissable; mais, en hiver, ce Styx se fige. Son lit se réduit à cinq mètres d'eau courante, ou à rien. Malgré les gardes, le passage devient possible. Ici, la frontière ne fond que sous le gel.

Cachée dans un véhicule, la caméra du journaliste ne cesse d'arpenter la berge chinoise, comme un insecte cherchant, sur la vitre, par où sortir ou entrer. Elle prend de loin tout ce qu'elle peut du pays aveugle. Une femme qui vient laver son linge dans un trou d'eau glacé. Deux gardes-frontières, cerbères engoncés et tout aussi faméliques que les morts-vivants qu'ils surveillent. Plus loin, l'image s'arrête sur une usine fermée, une gare déserte; puis sur une ferme vide où, naguère, on élevait des poulets en batterie. Plus loin encore, la caméra cadre une