Les rôles tenus par Orson Welles dans ses propres films forment une
suite de variations autour d'une même figure mythique: Faust. L'inspecteur Quinlan de la Soif du mal, le magnat de Citizen Kane ou le munificent affairiste de Monsieur Arkadin: tous sont des démiurges tentés par l'omniscience qui, petit à petit, redeviennent de simples mortels. Dans le très baroque Monsieur Arkadin (Confidential Report, 1951), la caméra est placée sous Orson Welles: c'est un géant qui fixe l'objectif d'un regard hypnotique, alors que tous ses interlocuteurs sont écrasés par des plongées vertigineuses. Sur son yacht ballotté par la tempête, tout bouge, sauf lui: statue inébranlable, manipulateur pervers qui se croit (et que l'on croit) invincible. Gregory Arkadin est obsédé par le contrôle de l'espace (il est toujours présent là où on ne l'attend pas) et du temps (il veut élucider le mystère de ses origines pour maîtriser son destin). Le mythe de Faust est aussi lié au rêve de la jeunesse éternelle: il faut que le puissant Arkadin soit confronté au spectacle de sa déchéance future (en la personne de son compagnon de jeunesse, devenu une épave souffreteuse) pour qu'il prenne conscience de sa condition humaine.
Pour dresser le portrait de ce personnage mystérieux, Orson Welles donne libre cours à son plaisir du récit, reproduisant, dans sa relation avec le spectateur, les procédés manipulateurs de son héros. Le scénario est un jeu où Welles s'amuse à bousculer les genres, pimentant cet étrange