En 1962, François Truffaut porte à l'écran le premier roman de
Henri-Pierre Roché, Jules et Jim, et obtient l'un de ses plus grands succès. En 1971, il retrouve l'univers de l'écrivain avec les Deux Anglaises et le Continent: le film est boudé par le public. Un échec injuste, lié sans doute à l'extrême âpreté de ce film, réalisé par Truffaut à l'issue d'une grave dépression. Les Deux Anglaises" apparaît en effet comme la face noire de Jules et Jim. D'un côté, le «tourbillon de la vie» qui emporte une femme libre (Jeanne Moreau), partagée entre deux hommes; de l'autre, la présence obsédante de la mort qui plane sur un homme dilettante (Jean-Pierre Léaud), déchiré entre deux femmes.
Roché avait construit son roman sous la forme de lettres et de journaux intimes pour exprimer l'isolement de ses personnages, leur éloignement géographique, le décalage de leurs désirs. Truffaut a repris cette belle idée narrative dans de nombreuses scènes où Léaud et les deux Anglaises, Kika Markham et Stacey Tendeter, filmés en gros plan conclu dans un lent fondu au noir, disent les plus beaux extraits du roman de Roché. Autant de blocs de solitude que le cinéaste relie par la voix off d'un narrateur (lui-même). Le film tire ainsi sa force du décalage entre ce récit très littéraire et une ambiance très physique à l'image. Les sentiments de Muriel, Anne et Claude deviennent d'autant plus violents qu'ils ont été longtemps contenus. Truffaut, cinéaste si pudique dans la plupart de ses mises en scène,