Soudain, samedi, devant une caméra d'Arte, Leos Carax mange du
yaourt. Un yaourt nature, entamé, dans un petit pot de verre. Ce yaourt attendait hors champ, impatiemment sans doute. Peut-être commençait-il à tourner. Les projecteurs, c'est chaud, surtout à Cannes quand il fait beau: mieux vaut ne pas laisser traîner son yaourt dessous. D'une voix atone, sans regarder l'objectif, le cinéaste explique aux journalistes de Metropolis pourquoi il évite la télé: «L'homme a été conçu pour être visible derrière un arbre, en petit clan, mais pas pour être exposé devant 50 millions de crétins à la fois. Sans être mystico-religieux, à mon avis, ça doit déteindre.» Il parle du peintre Bram Van Velde, puis évoque, les yeux mi-clos, son sens de l'échec, du «bon» échec, et son intrinsèque déception. «Déception parce que les films ne ressemblent pas à ce dont vous aviez rêvé?» lui demande-t-on. «Non, pas du tout, répond-il. Un film n'est jamais la réalisation d'un rêve. La déception est abstraite, dans la mesure où je ne revois pas mes films. Mais" on sait! Toute personne sait qu'elle fonctionne par échecs successifs.» Et à chaque fois, entre ces sentences murmurées, un peu de yaourt. Ou un peu de thé (en sachet). Ou une cigarette. Mais c'est le yaourt plein pot, pas coupé au montage, qui tire l'oeil à lui. Il rythme l'entretien. Il vend le cinéaste mieux qu'un slogan, ou un film (par exemple, l'un des siens). Il annonce sa couleur: blanc. Fraîcheur, naturel, austérité, enfance; mais aussi: