Ce film-ovni de 1991 est comme une charade dont l'énoncé pourrait
être ainsi formulé. Mon premier est une vision très réaliste des marginaux américains en général, et de la prostitution masculine en particulier. Mon deuxième est un récit initiatique, façon road-movie psychédélique dans le nord-ouest des Etats-Unis et à Rome autour des itinéraires divergents de deux amis: l'un, Scott, riche héritier en (provisoire) rupture de ban, l'autre, Mike, jeune errant à la recherche de sa mère. Mon troisième est un hommage à William Shakespeare et à Orson Welles à travers une adaptation contemporaine de Falstaff. Mon tout est un film miraculeux. Gus Van Sant a réussi à faire de ces éléments a priori dissonants un ensemble harmonieux. My Own Private Idaho avance ainsi avec grâce entre réel, songe et imaginaire. Mike est narcoleptique il s'endort en sursaut. Avec ses crises, le film passe d'un réalisme sordide à un allégorisme merveilleux: des saumons remontent un torrent au ralenti, des nuages défilent dans le ciel en accéléré, Mike retrouve le paradis perdu de l'enfance. C'est magnifique, c'est bouleversant.
Cet édifice fragile n'aurait pas pu tenir sans la performance de River Phoenix dans le rôle de Mike (1). Ce fut sa plus belle interprétation, deux ans avant sa mort, un petit matin d'automne, sur un trottoir de Los Angeles. On a beaucoup parlé de James Dean à son propos: même visage boudeur et mélancolique, même carrière fulgurante à l'écran (le méconnu et superbe A bout de course