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Libération

Après coup. La bouche.

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publié le 26 mai 1999 à 1h10

«Des enfants tellement choqués par les scènes auxquelles ils ont

assisté qu'ils se sont parfois murés dans le silence pendant des semaines, dit gravement lundi soir Elise Lucet, présentatrice du 19/20 de France 3. Lorsqu'ils s'expriment enfin, c'est pour crier-leur-douleur-mais-aussi-leur-espoir-d'un-Kosovo-libre-et-d'une-paix -retrouvée.» Et cela, bien entendu, cette catharsis lyrique et nationaliste, annoncée avec une mesure, une sobriété, une distance que chacun appréciera, ils le font face à la caméra. Mais pas n'importe comment: ce soir, le premier plan est une bouche. Une bouche toute seule, comme découpée à la taille de l'écran. Des dents, des lèvres et du bas-de-visage. C'est la bouche d'un enfant kosovar, orphelin dans un camp. Il a sans doute vu là-bas, de l'autre côté, ce que personne ne devrait voir. D'un ton dramatique, le reporter précise: «Il est resté prostré pendant de longues semaines. Depuis quelques jours, il est sorti de sa torpeur.» Et donc, pour France 3, sa bouche chante (c'est sous-titré): «Pour le Kosovo, je donnerais ma vie! Ma vie est un enfer! Depuis cent ans, j'appelle la liberté, mais personne ne me la donne!» Il hurle, en fait, plus qu'il chante: comme les enfants yougoslaves dans le métro parisien (ceux à qui l'on donnerait pour qu'ils arrêtent de chanter, tant ils cassent les oreilles, tout en serrant son sac contre soi de peur qu'ils le volent, mais en s'attendrissant sur leur sort de Gavroche exportés et exploités, vous voyez?). Ensuite, o