Vous êtes quelqu'un qui est à vif?», lui demande doucement Philippe Lefait, animateur du Cercle. «Un peu, oui.» A 75 ans, Roland Dubillard est devenu laconique. L'auteur des Diablogues ne répond souvent que d'un mot, d'une phrase, «Oui», «Non», «Peut-être», et difficilement: Lefait rappelle d'emblée que l'écrivain est hémiplégique depuis 1986. Articuler l'épuise, le ramène au silence, le désespère peut-être. Le langage résiste à sa volonté. Lui, le poète, ne peut plus écrire de vers, car il ne peut plus les dire: leur musique, explique-t-il avec des efforts infinis, lui échappe. Parfois, il répond à Lefait simplement du regard . Ce regard violent, douloureux, amusé, perce entre de vastes paupières tombantes, paupières d'éléphant triste. Dubillard rappelle alors l'autoportrait qu'André Derain a peint avant sa mort: une masse puissante, terrible, saturée, qui vous fixe depuis les grandes profondeurs; un gisant bien vivant, un absent bien présent. Parfois il semble dire sur un ton imperméable: «Drôle de vie. Drôle de drame. Drôle de comédie.» Parfois il s'éloigne, sans doute saisi d'une indifférence absolue. Le regarder n'est ni obscène ni indiscret, mais bouleversant; car pendant une heure et demie, dans cette nuit de lundi à mardi, c'est lui qui nous regarde, et c'est nous qui sommes nus. Il est assis chez lui dans son fauteuil, la main gauche posée sur une canne noire (la droite, morte, sert de «paratonnerre»). On remarque de belles tapisseries, des roses, des pétales amas
Après coup. Le Cercle rouge.
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par Philippe Lançon
publié le 27 mai 1999 à 1h12
(mis à jour le 27 mai 1999 à 1h12)
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