Et si ce film, chef-d'oeuvre de théâtre filmé, n'était rien d'autre
que la première tentative pour en finir avec le cinéma? Au théâtre, le jeune Orson Welles emprunte l'emphase et le grincement des planches. Même la fameuse profondeur de champ, astucieux jeu d'effets de miroirs et de focales, restitue en fait une sorte de scène de théâtre idéale, avec une manière d'infini morose en guise de ligne d'horizon. Jeune génie du gag shakespearien, Welles n'est pas du tout le cinéaste réaliste qu'hallucine André Bazin mais plutôt un malicieux prestidigitateur qui tire plus vite que son ombre, assignant à la pure vitesse la tâche de rendre invisibles ses jolis tours de passe-passe. Ici, en l'occurrence, il s'agit d'un coup d'Etat raté contre le roi cinéma. En 1941, l'année de Citizen Kane, Hollywood a encore de l'avenir. Quinze ans exactement à mettre au point et à oublier la formule idéale du cinéma classique. De Citizen Kane, fabuleux film guindé et obsolète, Jean-Paul Sartre disait finement: «Nous sommes constamment débordés par ces images trop ridées, grimaçantes à force d'être travaillées. Comme dans un roman dont le style se pousserait toujours au premier plan et dont on oublierait à chaque instant les personnages.» Heureusement, Welles excède Citizen Kane. Il réussit même, avec la Splendeur des Amberson, à se faire disparaître de son propre film (son plus beau tour de magie), s'essayant pour une fois à un vrai mélodrame en costumes, sans masques ni postiches.
Orson Welles n'a si