Aller voir Kadhafi sous la tente, le sentir, le toucher, c'est l'un
des rêves de tout Tintin. Le beau Bédouin de Cyrénaïque est désormais crooner sous le grand chapiteau de l'Histoire. On le visite comme une belle ruine. On flaire son fier visage immobile. Comme Castro, mais dans une catégorie plus légère, il est classé au patrimoine mondial des dictateurs embaumés vifs. La révolution, les attentats commandités et leurs victimes, cette réputation de Lucifer des sables, tout cela semble oublié, noyé dans le folklore de l'image. L'important, dans les médias comme dans l'Histoire, c'est de durer: on finit par devenir un glamour archétype. Il était donc logique que le Vrai Journal de Karl Zéro, cette usine à pailleter tout et n'importe qui, s'empare du personnage. L'histoire de l'interview diffusée dimanche a été longuement racontée sur Canal +. Une grosse publicité l'a vantée dans le Monde du week-end. «Attention, scoop! pétait la pub dans le vénérable quotidien. Le colonel Kadhafi est l'invité de Karl Zéro pour une interview exclusive.» Et, pour allécher le client, on avait tiré de l'entretien cette question: «Si vous aviez été président des Etats-Unis, auriez-vous embauché Monica Lewinsky?», et cette réponse: «Embauché, oui. Sur le reste, il y a à redire.» Ce qui est une contraction un peu exagérée des propos de Kadhafi, lequel a répondu en pouffant dignement: «Embauché, oui. C'est quelque chose de normal, n'est-ce pas? Mais sur l'autre comportement, il y a beaucoup à redire