Buster Keaton aime-t-il mieux sa locomotive que sa fiancée? Question
moins idiote qu'elle n'en a l'air dans cette fresque fétichiste en l'honneur du cheval d'acier, monstre d'élégance et de froideur, célébré au même moment (1926) par les peintres et les écrivains du monde entier, les figuratifs comme les abstraits, les romantiques comme les futuristes. Dans le Mécano de la «General», il faudrait plutôt parler de primitivisme, une sorte d'archaïsme lunaire qui transfigure un western historique en mélodrame grandeur nature. En pleine guerre de Sécession, un petit mécanicien timide, aussi maladroit que son engin, défait l'ennemi et gagne le coeur de sa bien-aimée. C'est un Titanic à l'envers, sudiste évidemment, d'une sublime majesté géométrique. On visite encore aujourd'hui les restes de la locomotive tombée en flammes dans une rivière de l'Oregon.
Il y a dans le cinéma muet une tentation du nettoyage ethnique, de la pureté d'un langage presque aryen, dont quelques artistes pourtant irréprochables (Griffith, Lang, Murnau") sont très représentatifs, et dont un Rohmer s'est fait, à sa manière, le descendant. Face à la tentation triviale d'un cinéma impur (Lubitsch, Laurel et Hardy, Stroheim, Chaplin), le cinéphile a longtemps lui aussi préféré l'élégance hautaine de Fritz Lang ou les architectures imperturbables de Buster Keaton. L'art sublimement bâtard de la télévision la plus commerciale et les mélanges à haut risque du cinéma de Fassbinder commencent enfin, après des années d