Il y a trente-sept ans, au moment de sa sortie, personne ou presque
n'a aimé Lolita. Trop sentimental, trop cocasse, trop cruel. Stanley Kubrick n'avait pas encore, il faut dire, cette réputation de psychopathe arrogant et d'artiste suprême derrière laquelle se cache, en fait, une sorte de maniaque du marketing ultime et de l'objet parfait à ce niveau-là, le monolithe épuisant de monotonie de 2001 est sa pierre noire, une Mecque d'insignifiance autour de laquelle les pèlerins n'ont cessé, depuis, de tourner inlassablement. Cinéaste expérimental, donc, pour le meilleur et pour le pire, oubliant au fil des années qu'un film n'existe, et n'existera jamais, que par ses personnages. Si Kubrick s'en tire aussi bien avec Lolita, de loin son meilleur film, c'est qu'il a encore, en 1962, la fureur iconoclaste de ses débuts hustoniens (le Baiser du tueur) et surtout qu'il trouve en Nabokov un complice dans l'art de la dénégation, capable de jurer ses grands dieux, comme Kubrick n'aura jamais l'impertinence de le faire, que les nymphettes ne l'intéressent pas plus, au fond, que les bicyclettes ou les papillons. On sait aujourd'hui que pour l'un et l'autre le romancier russe qui invente une langue célinienne pour l'Amérique effarouchée et le cinéaste qui fuit cette même Amérique pour se donner des allures de lord rebelle une seule chose vaut le coup, autour de laquelle tourne évidemment toute idée de représentation, la pornographie. De là à s'essayer, en gardant évidemment les yeux