Bernard Kouchner est au Kosovo, vendredi, quand le monde entier
apprend que Médecins sans frontières, l'organisation qu'il a naguère cofondée, reçoit le prix Nobel de la paix. A 13 heures, sur TF1, son visage de plus en plus creusé apparaît en direct dans le journal. Jean-Pierre Pernaut arme son sourire de squale populiste et lui demande: «Que ressentez-vous, vous-même, en ce moment? de l'émotion? de la fierté?» «Je ressens, répond très lentement Kouchner, qu'il fait froid au Kosovo, et qu'en ce moment, sur le pont de Mitrovica, il y a un affrontement très brutal qui, j'espère, ne va pas dégénérer.» Pernaut espérait provoquer un moment d'émotion humanitaire. Il l'a eu, même si ce n'est sans doute pas celui qu'il attendait. La guerre et la haine font irruption au meilleur moment, comme des convives pas invités au repas de famille: c'est ce qui fait leur drame. Elles portent leur toast funèbre en rappelant que l'expédition militaro-humanitaire du Kosovo a des lendemains qui ne chantent pas; et qu'entre Serbes et albanophones, comme disaient jadis les pieds-noirs, «la carte elle est cassée». La sincérité et l'instinct médiatique de Kouchner l'ont poussé à ne rien cacher du télescopage qu'il vit en direct. Il profite de cette panthéonisation fin de siècle pour rappeler qu'un conflit merdeux s'enlise là-bas dans l'invisible; que ce conflit fut une croisade; qu'on l'oublie peut-être, que rien n'est réglé; et que lui, Kouchner, s'y épuise à tout concilier, ses saintes mains sur les