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Libération
Critique

Cap Canaille. Canal +, 1h15.

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publié le 18 octobre 1999 à 1h14

Juliet Berto, Bardot brune et boudeuse, illumina quelques-uns des

films les plus sensuels du jeune Godard. Au cours de la seule année 1967, elle est la star immaculée, à la fois maladroite et hardie, de Deux ou trois choses que je sais d'elle, la Chinoise et Week-end. Elle a 20 ans, elle aurait pu s'arrêter là. Elle serait devenue la Garbo de la Nouvelle Vague. Superbe, énigmatique, vaguement rieuse, elle ne savait pas qu'elle était déjà à mi-vie. Aurait-elle employé autrement les maigres vingt-trois années qui lui restaient à vivre? Plutôt que de s'éparpiller dans des succès cinéphiles avec Rivette (Out one, Céline et Julie vont en bateau), des apparitions poétiques avec Tanner (le Milieu du monde) ou Glauber Rocha (Claro), n'aurait-elle pas plutôt consacré son énergie à sa propre carrière de réalisatrice, qui ne court guère que sur cinq ou six ans, nous laissant avec trois films seulement, Neige et Cap Canaille (coréalisés par Jean-Henri Roger, l'ex-complice de JLG sur British Sounds au moment de l'inénarrable Groupe Dziga Vertov), et enfin Havre, qu'elle réalisa toute seule, quatre ans avant de mourir, et qui reste l'un des films les plus curieux et les plus personnels des années 80.

Film invisible, sans descendance, Havre nous manque. Nous manquent ses bricolages amoureux, ses collages résolument hétérogènes, ses patchworks poseurs. L'art de la pose, précisément, y tenait à la fois du roman-photo, du film militant, de l'opéra chinois, du jeu de tarots, de la ronde d'enfant