Derrière ce marivaudage apparemment sans conséquence se cache le
plus mauvais film de François Truffaut, le plus mesquin, le plus sournois. Une «nuit américaine» désigne, on s'en souvient, une façon commode de tourner des scènes de nuit. Pas la peine d'attendre le coucher du soleil, on se contente de traiter plus tard le film au labo. C'est propre, c'est comme si on y était. Et c'est précisément l'espace du «comme si» que se propose de parcourir Truffaut et sa troupe d'acteurs, apparemment à la manière de Jean Renoir dans French Cancan, le Carrosse d'or, Eléna et les hommes. Truffaut interprète d'ailleurs le metteur en scène de la Nuit américaine, comme le faisait Renoir, apprenti sorcier et chef d'orchestre maladroit, dans la Règle du jeu. Alors, dira-t-on, pourquoi s'énerver? C'est une question de jeu, une question de règles. Il y a chez Truffaut un effet de flou, un effet de brouillage du réel, qu'on chercherait en vain chez Renoir, cinéaste de l'artifice librement consenti, du va-et-vient entre rêve et réalité, à la manière de Vincente Minnelli, l'un des seuls grands réalisateurs à s'être précisément penché, à deux reprises, sur la représentation du cinéma au cinéma («Le monde est une scène, la scène est un monde», chante-t-on dans Band Wagon). Pourtant, ni les Ensorcelés ni Quinze Jours ailleurs ne brouillent les pistes. Renoir et Minnelli réfléchissent à la notion de spectacle, à sa tradition, à sa morale, là où Truffaut sentimentalise à l'excès, naturalisant tout sur