Enfance du cinéma, éblouissement des premières images, ambiance
glauque de cabaret tropical ou de boîte de nuit stroboscopique: ainsi commence et finit la Dame de Shanghai, polar baroque et onirique de l'enfant-roi du cinéma, petit prince hollywoodien du rêve et de l'impossible, Orson Welles. Sept ans après le miracle de Citizen Kane, qu'il signe en toute liberté (scénario, production, interprétation, réalisation, montage), dans des conditions artistiques jamais accordées avant lui, Orson Welles joue un nouveau coup de poker: il a besoin d'argent pour sa compagnie théâtrale, besoin aussi, sans doute, de donner un premier rôle à sa star de femme, Rita Hayworth, sans doute épousée par provocation (pourquoi ne se payerait-il pas, lui, le truqueur shakespearien, la plus belle femme du monde?). Dans un kiosque de gare qu'il dépasse comme par mégarde, en quatrième vitesse, un livre bon marché attire son oeil, avec un titre idéalement exotique, la Dame de Shanghai. Pourquoi pas? Besoin d'argent, deal de joueur de poker, il propose au téléphone le titre en guise de projet (un titre pour tout projet, il faut le faire) à Harry Cohn, de la Columbia. Quelques jours plus tard, il reçoit un chèque de 50 000 dollars, et la Columbia achète les droits du roman, une horreur inutilisable. Ne reste plus qu'à écrire, vite. Et à tourner, encore plus vite.
Se souvenir que Welles, le jeune Welles, a appris le cinéma, technique et idéologie, en regardant des dizaines de fois, jusqu'à s'en abrutir, jus