«Un film doit transgresser quelques chose, ["] ce moment où quelque
chose se révèle et s'abandonne, et que moi je n'ai jamais filmé encore"» Et: «Les prémices des choses, je m'en tiens là ["]. Je dois réfléchir à ça». Claire Denis en gros plan, un éclairage mordoré jouant avec l'éclat changeant de son regard grave. L'auteur de Chocolat, long métrage fondateur qui inaugurait le métissage obsédant de ses films à venir (S'en fout la mort, J'ai pas sommeil,"), raconte intimement ce qui se passe pour elle avec le cinéma. Tout semble découler, comprend-on peu à peu, d'un trouble de l'enfance dans cette Afrique fantomatique qui la hante, trouble qu'elle nomme «transgression», «prémices», «non-dit», «désir sans réponse», trouble que son esprit acharné et ses films ne cessent de circonscrire sans espoir d'y arriver, surtout pas, trouble issu de la contemplation de ce corps blanc et noir de l'Afrique postcoloniale qui la frôla pour la vie. Soeur lointaine de Lol V. Stein mesmérisée par un émoi indélébile, Claire Denis tente par la fiction de réincarner une émotion qui se dérobe. «Je me sens un corps gazeux, je ne me solidifie que lors d'un film», dit-elle. Est-ce pour cela qu'elle semble ne connaître aucun des tics en usage dans les rapports sociaux? Jamais, pendant la durée de ce portrait en forme d'interview, elle ne pratique l'autodérision ou l'humour, jamais ne se met à distance, jamais ne se protège, livrée à ses propres réflexions avec une sincérité et une honnêteté presque inti