Produit, écrit et réalisé par Raoul Walsh (la chose est assez rare
pour être soulignée), Esther et le roi est un éblouissement absolu. Pourtant, comme beaucoup de films tardifs de l'ère classique (1960), il ne va pas de soi. Sur une photographie superbement éteinte de Mario Bava, presque griffithienne à force de grisailles frontales, Walsh s'avance en nous regardant droit dans les yeux. Pas de grandiloquence dans ce péplum italo-américain, juste un Cinémascope langien («Ce format ne sert qu'à filmer les enterrements et les serpents», disait Fritz Lang), une manière tout sauf grandiloquente de regarder l'Histoire. Pas tout à fait Straub mais presque. Les légions victorieuses s'avancent, de retour d'Egypte. Un acteur américain musclé et sensuel, Richard Egan, interprète placidement le roi de Perse, Assuerus: pour Walsh, il fait nettement moins, c'est le moins qu'on puisse dire, que ses 2 500 ans d'âge. Les plans sont larges, patients, paresseux. A croire que ce cinéaste-là se contente de ses quelques centaines de figurants, armés et casqués, qui viennent vers nous, de biais, comme il sied à une armée en plan large et en Technicolor, sans inserts, sans dramatisation inutile, sans effets, presque énucléée. En deux cents secondes à peine, Walsh a gagné la bataille. Rien moins que la bataille du cinéma. Après ces longues secondes de provocation tranquille, ces longues minutes de cinéma intemporel, Walsh fait, comme par distraction, sans y penser, quelques concessions: un ou deux g