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Libération

Après coup. Littérature, ô ma douleur.

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publié le 10 mars 2000 à 22h57

Il se tient droit. Donne du madame à l'écrivain, Annie Ernaux,

assise en face de lui. N'intervient qu'à l'invitation d'une question. Il a les bonnes manières appuyées de celui qui n'est pas chez lui. Franck Ribault est ouvrier boucher dans une grande surface de la région de Nantes. Le voilà sous la lumière tamisée des Mots de minuit, cercle culturel et confidentiel de France 2. Le vendeur de viande, a atterri là presque par hasard: il n'a rien publié de ses pages noircies planquées lui seul sait où, mais s'est fait remarqué dans les jurys littéraires de lecteurs. Il dit: «Quelqu'un qui écrit est quelqu'un qui souffre et qui ne peut pas voir souffrir les autres. Par contre, tous ceux qui souffrent n'écrivent pas, ce qui fait que l'écrivain a un travail à faire pour que tous ceux qui n'ont pas de don puissent acheter des livres et retrouver un peu d'eux-mêmes à l'intérieur de ceux-ci.» Franck Ribault aurait voulu être de la première catégorie, il est de la seconde, celle de ceux qui souffrent mais n'écrivent pas. La télévision lui offre, ce soir-là, une demi-heure d'entre-deux. D'ordinaire, elle est comme la vie, compartimentée. Elle doit ranger les ouvriers de boucherie dans sa tranche bruyante et divertissante: grand public. Mais, à une heure du matin, mercredi soir, le garde-barrière de la télé s'est probablement endormi. Le présentateur, Philippe Lefait, a, entre les mains, une copie perforée à carreaux, de celle que l'on remplit au lycée, et lit quelques lignes écrites pa