Si le documentaire de Michel Pamart et Pierre-André Boutang sur
Francis Ponge (Arte, mardi soir) est si réussi, c'est d'abord parce que l'écrivain, mort en 1988, y parle beaucoup. Il lit certains textes, comme le Verre d'eau («mesure de la capacité des sobres»), les commente avec rigueur, humour, limpidité. Ecrire, soudain, paraît la plus simple et la plus indispensable des tâches impossibles. Il explique enfin pourquoi il a pris le parti des choses, objets, petits animaux, galet, arbre, chien, plutôt que celui des sentiments, de la psychologie: par angoisse. Son museau long et inquiet nous le déclare cadré de près: «Cette société si mal foutue, un si mauvais ordre des choses, nous plongent tout de même dans une espèce de désespoir quasi métaphysique, et aussi, le fait de ne pas pouvoir s'exprimer"» Ponge remontait à coeur nu, mot après mot, jour après jour, le mur du langage. Il se cassait la gueule et recommençait. Il roulait ses phrases comme une fourmi ses boules de mie de pain, sans fin, sans fin. L'oeuvre est le constat de cette réussite faite d'échecs. Le désespoir, donc: «C'est quelque chose qui ressemble au vertige, à l'abîme. Et que font les gens qui ont le vertige?» Ici, Ponge ouvre un peu la bouche. On voit luire ses dents, comme si, prises dans un appareil, elles devaient sans cesse, telle la plume, se dresser, se redresser, chercher leur juste place sans la trouver dans la gencive, autour de la langue et sous l'aliment. «Les gens ne regardent pas l'abîme, le