Revenir sur Eustache. Tenter d'expliquer la fascination qu'exerce
encore ce cinéma pompeux, à l'austérité autoproclamée, un cinéma de table de poker plutôt que de salle de cinéma. Entendre un journaliste sérieux s'exclamer, dans un journal non moins sérieux, que Le Père Noël a les yeux bleus est le meilleur film de Jean-Pierre Léaud suffit à mesurer l'étendue des dégâts: par quel effet de terreur doit-on passer pour en arriver là? Acteur rare, fragile, à la fois célinien (Le Vigan) et curieusement hollywoodien (Pacino), Léaud est aussi indispensable au cinéma français que Grémillon ou Godard. Mais son art de la déclamation décalée, son anti-naturalisme viscéral, sa générosité magnifique et délicate sont des qualités encombrantes. On est loin du lyrisme lyophilisé de son imitateur le plus connu, Fabrice Lucchini. Le problème, avec Léaud, comme avec tous les acteurs fascinés par les états-limite, c'est qu'il suffit d'un rien pour que la limite, précisément, ne soit franchie. Entre une interprétation proprement géniale et un ratage intégral, Léaud doit bien le savoir, là, quelque part, il suffit d'un écart de quelques millimètres, d'un faux départ, d'une peau de banane mal placée, d'un cinéaste à côté de la plaque. Le péché mignon de Léaud, au fond, c'est le même que celui des eustachiens: ils adorent se laisser bluffer par un certain dandysme, une pose d'artiste, un beau discours.
Le Père Noël a les yeux bleus n'est pas plus mauvais que la Maman et la putain, c'est seulement son