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Libération

Après coup. La plage.

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publié le 3 mai 2000 à 0h38

Vous pensiez vous dorer l'extérieur et vous vider l'intérieur dans

un monde de rêve, sur une plage de Malaisie, et vous voilà dans l'une des 7 000 îles des Philippines, otage, avec vingt autres touristes, d'un groupe islamiste, Abu Sayyaf, dont vous ignoriez jusqu'au nom et qui menace de vous couper la tête. Vous pensiez envoyer des cartes postales et vous parlez sur une vidéo datée du 29 avril à une journaliste asiatique. C'est ça, votre carte postale: la vidéo diffusée, lundi, en ouverture des JT. Cette vidéo tragique, c'est le purgatoire. A mi-chemin entre l'image professionnelle ou touristique du monde, bien cadrée, vive en couleurs, et ce monde qui vous tombe dessus. Mal foutue, secouée de faux mouvements, la vidéo flotte dans une eau trouble. Entre «c'est pour de faux» et «c'est pour de vrai». Plus présente, plus laide, plus perturbante que d'autres images, elle vient, elle vient, et on dirait que l'écran pousse; qu'il accouche de cet embryon pas formé, tout gluant du placenta de la chienne de vie. Vous êtes assis devant les ravisseurs armés, avec les autres, et vous avez l'air fatigué. Vous le dites. Vous dites aussi: «I am French. On n'a pas bu ni mangé depuis deux jours. On commence à avoir des problèmes de santé. Stomach, stomach.» Stomach et malaria: l'Asie, soudain. Une Allemande pleure en grignotant son mouchoir. La caméra vous reprend et descend lentement du visage aux pieds nus (pour empêcher la fuite?), puis zoome dessus. On se demande ce qu'ils ont, ces pieds