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Libération
Critique

Touchez pas au grisbi.

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Paris Première, 21 h.
publié le 29 juin 2000 à 1h58

Un jour, sans le savoir, Jacques Becker a permis à Jean Gabin de vieillir. C'était en 1954, pour Touchez pas au grisbi, un beau film d'une étrange modernité. Becker a aussi permis à Gabin, ce qui est pire, de se trouver une flopée de jeunes disciples prêts à imiter son jeu rauque et fatigué. Pas Lino Ventura, évidemment, dont le corps massif l'a toujours protégé de la paresse et du n'importe quoi enfilé vite fait comme un costume de clodo, d'aristo, de juge, de poivrot, de flic, de truand, de Bourrel, de Verneuil, de Maigret, de tête de lard, de râleur professionnel. Une déclamation de gentleman-farmer énervé, dont la descendance emphatique (Delon, Belmondo, Bohringer, Giraudeau...) mettra des années à se libérer, si elle y arrive un jour. Jusqu'au film de Becker, Gabin avait été un personnage insituable, entre Tino Rossi et Maurice Chevalier, séducteur torve et chanteur approximatif, capable d'une belle subtilité quand c'était Renoir, Ophuls et surtout Duvivier qui le regardaient venir.

Yves Martin, dans son impeccable Cinéma français, 1946-1966 (Méréal), dit joliment que le film "transpose l'univers beckérien dans un genre (le policier) qui a ses lois, ses règles et les transgresse assez difficilement. Jean Gabin devient l'antihéros par excellence, la tragédie cède le pas, chacun a son petit-bourgeois qui sommeille, qu'il entretient, bichonne et adore comme un dieu". L'ami Lourcelles, de son côté, parle de décentrage discrètement révolutionnaire, le même que celui qu'avait