C'était la rue Saint-Denis à domicile. Du racolage à Ça se discute. Ils étaient là, face à nous: Claire, Eric, Isabelle, Lilou, tous prostitués ou ex. Delarue nous les présentait et on matait, forcément. Les jambes nues, les décolletés, les visages ravagés. Les clichés allaient bon train. Pas de putes au grand coeur, mais une ou deux avides de fric. Des femmes ou des trans qui se disaient heureux, sans mac. Puis, il y eut Sigrid, 20 ans, en pull et pantalon, sans artifice. Toxicomane «à la dure», son visage disait l'abandon. Son phrasé était lent, et ses paupières trop lourdes pour qu'on ne cherche pas à fuir ce calvaire-là à tout prix. Sigrid racontait sa vie. Héroïne, trottoir, SDF. Et les insultes, et les jets d'objets, et ses yeux, justement, qui ne voient plus tout à fait bien, à force de coups. L'inconnue avait un petit accent d'Avignon, et des pommettes hautes. Il y a deux minutes, elle était loin. Puis, on se rapprocha. Elle évoquait maintenant ses dettes, ses «quarante passes en quelques heures», certains soirs, ses neuroleptiques qui ont remplacé la poudre, et son premier client. Un type à vélo qui lui proposa l'hôtel et 1000 F. «1000 F, ça me permettait de m'acheter une paire de chaussures, quelques vêtements et de quoi manger.» Ce soir-là, Sigrid devint Chris, «mon nom de travail». Ce soir-là, surtout, ce fut sa «mort intérieure» et son premier vomissement. «Je vomis après chaque passe. Mon corps refuse. Mon corps me fait vomir. Ça fait deux ans que c'est comme ç
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