Trois femmes, en Bosnie. Le malheur les a frappées quand elles avaient vingt ans. Maintenant, elles parlent, face à Fika, la thérapeute, et à la caméra immobile. Jasmina raconte qu'elle a vu le corps de son frère coupé en deux par un Serbe. «Chaque fois que je vois de la viande à la cuisine, je pense à lui.» Senada a été appelée à la morgue, pour identifier son mari: «Nous avons ses dents, vous pouvez le reconnaître?» Depuis, Senada en rêve: elle est avec lui, elle lui dit: «On m'a demandé de te reconnaître à la morgue, j'ai dit que ce n'était pas toi.» Sedina, elle, a gardé une chemise de son époux. Elle la porte. «J'ai beau la laver, elle garde toujours son odeur.» La thérapeute leur demande de regarder en elles. «Je ne peux pas, je ne vois qu'un gouffre, répond l'une. Si je m'en approche, j'ai peur d'y tomber.» «En dessous, je suis en morceaux, dit l'autre. Et je ne serais pas folle après ça?» Elles racontent leur culpabilité d'être vivante quand leur mari est mort («J'ai l'impression de l'avoir trahi.»), leurs questions («Comment, à 27 ans, j'ai pu vivre tout ce qu'il y a de pire? J'ai pêché ou c'est le destin?») et leur sentiment d'inutilité: «J'ai les nerfs détraqués et le reste... Je ne sers plus à rien.» Sedina, 27 ans, Jasmina, 25 ans, Senada, 30 ans. Entre 1992 et 1995, dans la guerre, elles ont perdu leurs hommes : maris, frères, beaux-frères, plusieurs dizaines de gars de la famille ou du clan ont disparu. Les laissant seules, clouées dans leur silence. En août 1
Critique
«Je suis en morceaux»
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par Michel Henry
publié le 5 octobre 2000 à 5h05
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