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Libération
Critique

Franju face aux bêtes humaines

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«Le Sang des bêtes» de Georges Franju. Planète, 23 h 50.
publié le 23 novembre 2000 à 6h59

Il y a toujours dans les parages un artiste qui s'intéresse à la bidoche. Entre le Boeuf écorché de Rembrandt et Meat de Wiseman, il y eut notamment, moins connu, cet extraordinaire Sang des bêtes signé Franju. Un bref documentaire d'une quinzaine de minutes tourné en 1949, musiqué par Joseph Kosma et commenté, il faudrait plutôt dire égayé, par le scientifique inspiré Jean Painlevé. Dans le ventre d'un Paris qui semble appartenir davantage à la prose d'Eugène Sue qu'à l'orée de la seconde partie du XXe siècle, l'auteur de la Tête contre les murs affiche déjà, au cours d'une visite aux abattoirs de Vaugirard et à ceux de La Villette, sa cruauté narquoise et féerique, qui n'est joueuse qu'entre les interstices d'un effroi véritable. Sous prétexte d'initier le chaland aux secrets du beau métier d'équarrisseur, Franju filme picturalement la bestialité giclant sous le couteau de l'égorgeur et la chair quand elle n'a plus la forme d'un animal connu. Têtes fracassées à la hache, décapitations en série, soubresauts de corps mutilés, vapeurs de bête fumante, beauté convulsive. Franju se fascine pour des tueurs sifflotant de bon matin,

toute la journée les mains dans la viande encore vivante, déjà morte, qu'en sait-on? L'amoureux de Méliès et de Feuillade débusque au coeur d'un processus réputé naturel (tuer pour manger) la dimension hallucinée de la férocité du monde. Un boucher au visage ordinaire et au tablier blanc, claudiquant sur une jambe de bois dans un sombre ruisseau d'épand