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Libération
Interview

Marie-José Mondzain, philosophe. «Prendre la relève des survivants»

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publié le 2 décembre 2000 à 7h27

«J'ai été frappée d'emblée par l'austérité de la caméra qui filme, sans emphase ni voyeurisme, une parole et une émotion. Les passages face/profil/nuque autour du corps des témoins m'ont particulièrement touchée. Longtemps les déportés ne disaient rien, comme s'ils savaient qu'ils ne pouvaient être entendus. Ce film pose la question de leur sortie du silence, et désormais de la nôtre.

«De nombreuses démarches cinématographiques ont appréhendé la Shoah. Il y a le style Spielberg, qui reconstitue pour faire un film d'époque avec casting et costumes, afin d'obtenir une émotion libératoire. Le satanisme du bourreau exige un exorcisme! Même dispositif, plus pervers, chez Begnini, où c'est le mensonge qui exorcise. Ces spectacles se veulent inoubliables, mais mieux vaut les oublier.

«Plus proche du film du procès Barbie, le procès Eichmann, devenu le film d'Eyal Sivan et Rony Brauman, pose la question de la place du spectateur dans une situation judiciaire. Malheureusement, notre place y devient fictive, s'insérant dans une fiction qui voudrait se légitimer par un texte précisément antispectaculaire, celui d'Hannah Arendt. Aux antipodes de ces démarches, Lanzmann, dans Un vivant qui passe et dans Shoah, ne confond jamais la caméra avec le tribunal. Ces films nous prennent à notre tour à témoin.

«La diffusion de cette archive déplace la question de la justice rendue vers celle du jugement exercé par les spectateurs. Le rôle de témoin change de mains: il nous incombe de prendre la relè