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Libération
Critique

Antonin Artaud, nerfs à vif

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«Un siècle d'écrivains: Antonin Artaud», documentaire. France 3, 0 h 10.
publié le 18 janvier 2001 à 21h57

Flot, flux d'humains recrachés par des escalators ou des bouches de métro, glissant sur des quais, des trottoirs, des couloirs. Désincarnés, réduits à l'épaisseur d'une image DV saccadée, enfermés dans un geste répétitif, mécanique. Une humanité au cri étouffé, privée même de sa souffrance. Il est rare d'assister à un documentaire en colère. Il n'est pas certain qu'André S. Labarthe ait été conscient de cette rage froide qui anime ce film consacré à Antonin Artaud, poète imprécateur. Pour se glisser dans les plis d'une oeuvre, Labarthe a pour habitude d'appliquer à son sujet ses idiosyncrasies, mais cette fois il s'agit d'autre chose. Car Artaud fait partie des irréductibles à qui aucun dispositif filmique ne peut convenir. Il est l'écorché vif que traverse la réalité pour faire entendre sa terrible plainte, il est celui dont le corps et l'esprit christiques hurlent sans fin. Si le film paraît si amer, c'est plutôt qu'il connaît sa propre et irrémédiable solitude. Artaud est mort avant d'être né. En filmant hypnotiquement les manuscrits, Labarthe montre l'impossible tentative d'Artaud à accoucher de lui-même. Artaud était malade et par là voué à une aventure de la perception qui fut une descente aux enfers, là où la vérité se met à bruire, où les images et les sons, dissociés du sens commun, autorisent tous les envoûtements, mais à quel prix. Artaud oeuvra au-delà de l'art et de la littérature. Les drogues, le théâtre de la cruauté, l'enfermement psychiatrique, les voyages,