On y est. On a attendu mais on y est. Dans un même mouvement, un même regard, on peut embrasser La ville est tranquille (Robert Guédiguian) et Diamants sur canapé (Blake Edwards), deux merveilles absolues d'irréalisme poétique. L'irréalisme poétique, ce n'est pas le contraire du vieux réalisme poétique du tandem Carné-Prévert, c'est ce qui se passe quand un cinéaste accepte de se perdre dans son scénario. Se perdre à Marseille, se perdre à New York, c'est la même chose, non? Chercher dans le noir d'où l'on vient, au risque des larmes, au risque de la frivolité, au risque de l'overdose. Se shooter au réel pour mieux rêver. Entendre des voix s'il le faut, de toutes ses faibles forces. «Ce n'est que dans l'image, qui apparaît dans un éclair une fois pour toutes dans l'instant même de sa connaissabilité, que le passé se laisse fixer.» Walter Benjamin écrit ça vers la fin de sa vie, comme le rappelle Giorgio Agamben (Le temps qui reste, Rivages). Il parle de Paul, du juif Saul devenu Paul, mais il pourrait aussi bien parler de ce qu'on appelait le cinéma, non?
Audrey Hepburn entendait des voix. On voit ça dans ses yeux, quand ils interrogent la caméra. Ingrid Bergman, à côté, c'est un camion sur pattes. Elle n'appartient pas au cinéma, Audrey Hepburn. Elle voyage dans des cathédrales décapotables, l'âme au vent. Elle a fait quoi, au cinéma, d'ailleurs, Audrey Hepburn? Deux films qui comptent, pas plus (l'autre, c'est évidemment Drôle de frimousse, où Fred Astaire et Stanley Donen