En 1934, Fritz Lang débarque en Amérique dans des circonstances qu'il a largement contribué à obscurcir. Selon lui (on a du mal à croire ce scénario qu'il aurait pu écrire avec son collaborateur occasionnel, Bertolt Brecht), il aurait quitté précipitamment l'Allemagne pour la France en mars 1933, quelques heures à peine après la proposition que lui firent Hitler et Goebbels de devenir le cinéaste officiel de l'Allemagne nazie. On sait aujourd'hui qu'il n'est arrivé à Paris qu'en juillet 1933. Quoi qu'il en soit, la vitesse à laquelle Lang acclimate son cinéma et ses obsessions à l'univers hollywoodien est proprement hallucinante. Son premier film américain, Furie, sort en 1936. C'est un prototype langien, un film d'emblée insituable, un sommet inégalé de méchanceté, de fulgurance, mené à une vitesse tellement insensée que les courses-poursuites d'aujourd'hui ressemblent, à cette échelle-là, à l'échelle langienne, à des valses d'autotamponneuses en virtuel. Son truc à lui, il ne faut jamais l'oublier, sinon on n'y comprend rien, c'est le réel. Qu'est-ce que la haine, l'amour, la poisse, la fatigue, le travail, la lutte des classes ? Aucun cinéaste ne s'y coltine aussi frontalement, aussi brutalement, avec un sens de l'abstraction et du fantastique qui rend chaque goutte de sueur qui perle sur le front d'un homme plus précieuse encore.
Furie raconte d'un trait, d'un seul, l'histoire d'un homme devenu fou. Cet innocent qui a presque brûlé vif en prison, ce chien enragé qui ne pe