Le Canard enchaîné a sa biographie. Un pavé de plus de 700 pages (1), passionnant, qui retrace les 85 ans d’histoire du journal, de la feuille destinée aux «poilus» de la Grande Guerre à l’influent hebdomadaire d’aujourd’hui. Créé en 1915 par Maurice Maréchal et Henri-Paul Deyvaux Gassier, deux journalistes d’extrême gauche qui entendaient lutter contre la censure et le «bourrage de crâne» alors en vigueur, le Canard s’est orienté depuis le début des années 60 vers la révélation des affaires politico-financières, sans perdre de vue sa vocation humoristique. Auteur de ce Canard enchaîné ou les fortunes de la vertu, qui lui a demandé cinq ans d’enquête, l’historien Laurent Martin, 33 ans, estime que «trois journaux différents coexistent dans le cadre étroit de huit pages grand format: un journal d’information (lui-même partagé entre culture et politique), un journal d’opinion et un journal satirique». Entretien.
A quel moment «le Canard» devient-il un journal d'investigation, et plus seulement un hebdomadaire satirique?
Jusqu'aux années 60, c'est un journal qui publie des échos parlementaires et des dessins tournant en dérision le monde politique, comme il y en avait plusieurs dans l'entre-deux-guerres. Le tournant se situe pendant la guerre d'Algérie. Sur la torture, le Canard publie, très tôt, des témoignages et des analyses. Ce qu'on appelle aujourd'hui l'investigation les grandes enquêtes appuyées sur des documents apparaît à la fin des années 60, avec la dénonciation de