Négrita repousse son verre de rhum d'un air dégoûté. Trop tôt pour boire, trop chaud pour boire. Au fond de la plantation de café, au Grand Cinéma colonial, on passe les Tuniques écarlates, un western avec Gary Cooper. Elle n'aime pas les westerns, mais, pour Gary Cooper, elle ferait des folies. Des folies de son corps, même, il suffirait qu'il débarque et lui demande, juste un regard, pas même une oeillade, elle se donnerait à lui. Il a des yeux de biche, cet homme-là, se dit Négrita en remuant un peu plus fort les orteils au rythme de l'éventail chinois dont elle s'évente les aisselles depuis le matin. Elle ne sait pas, Négrita, que Gary Cooper est mort, dans ce coin les nouvelles arrivent lentement, très lentement. Son patron, un certain monsieur Babin, est parti voir les Tuniques écarlates avec ses trois filles. Elles sont folles de Gary Cooper elles aussi, qui ne l'est pas? Dans un vieux journal, Négrita a lu que Gary Cooper prenait chaque jour un bain au lait d'ânesse. Pour la peau, il n'y a que le lait d'ânesse, Cléopâtre savait ça. Gary Cooper aussi. Il avait la peau si douce que, vers la fin de sa vie, à l'hôpital, les infirmières se battaient pour lui faire la barbe. Rien que pour passer la main sur sa joue, pour en sentir du bout des doigts le velouté, il fallait tirer aux cartes. Il exigeait aussi dans son contrat que Nanesse, son ânesse personnelle, lui donne le sein chaque matin. Il lui était fidèle, terriblement fidèle.
Vers 17 heures, les filles Babin sont de