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Libération
Critique

Detour.

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13e RUE, 22 h 40.
publié le 28 juin 2001 à 1h22

Un type qui fait des films en yiddish ne peut pas être complètement mauvais. Si ces films, ces cinq films américains parlant yiddish tournés entre 1937 et 1940, sont de bons films, alors là, le type prend des allures de saint. C'est ce qu'il est, Edgar George Ulmer, une figure de lumière traversant quarante années de cinéma (1923-1965) avec l'intégrité d'un pirate: c'est à la fois le roi de la série B et le plus grand affabulateur de l'histoire du cinéma, une sorte d'Orson Welles qui aurait commencé petit et décidé, très vite, question d'indépendance, question de liberté, de rester petit. Personne n'a mieux théorisé la morale esthétique du cinéma fauché: tu remplis ton contrat, on te laisse tranquille, complètement tranquille. Mieux que Tourneur (cinéaste à petit budget par défaut) ou Joseph H. Lewis (grand bricoleur mais styliste sans panache), Ulmer invente à chaque film une morale du manque, un art pauvre. Quand on repense à son Marieur américain (un pauvre type trouve des femmes pour les autres, mais pas une seule pour lui), la légèreté presque folklorique du yiddish apparaît comme la dernière résistance possible à la barbarie hitlérienne. Pour un cinéaste, en 1940, il n'y avait donc rien de plus urgent que de tourner en yiddish? Rien. Absolument rien.

On vient de parler de vitesse. Detour (Détour en français) va si vite qu'on n'a pas le temps d'imprimer, de réagir. Juste le temps de se dire, ce type, quand même, qu'est-ce qu'il va vite. Avec un film d'une telle noirceur,