John Ford est le plus grand cinéaste russe. Young Mr Lincoln, c'est Okraïna de Boris Barnet, Steamboat' Round the Bend, c'est Desna de Dovjenko. Les Russes et les Américains ont compris avant tout le monde que le cinéma est l'art du XIXe siècle. Pas du XXe, du XIXe. Le reste, tout le reste, est un malentendu, un terrible malentendu. Tout le cinéma qui nous importe, c'est-à-dire très précisément les films réalisés entre 1930 et 1935, puis entre 1952 et 1959, portent la marque du XIXe siècle. Survivance d'un siècle passé, anachronismes. Des passages, ce sont des passages. Benjamin comprendrait. Aujourd'hui, il comprendrait.
Rien de moderne dans le cinéma. C'est un art archaïque, épique, un point c'est tout. Si Donovan's Reef (la Taverne de l'Irlandais) est si émouvant, c'est qu'il a loupé le coche, la dernière charrette. S'il est si triste, si mélancolique, c'est qu'il arrive trop tard. Il arrive en 1963, quatre ans après Rio Bravo, quatre ans après la grande déception monochrome. Quand les films arrivent en retard, ils le savent. Les cinéastes ne le savent pas toujours (Ford et Hawks savaient), mais les films savent toujours.
Donovan's Reef est le premier volet de la dernière grande triologie fordienne, juste avant Young Cassidy et Seven Women (Cheyenne Autumn est un film pour expier, un film pour rien). On ne parlera pas ici des sept ans que Ford a passé à attendre la mort après Seven Women, c'est trop triste. Mieux vaut rappeler, après l'ami Launet, que «le cinéma rend heureu