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Libération
Critique

Les Yeux sans visage.

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Arte. 0 h 50.
publié le 26 février 2002 à 22h24

Qu'est-ce qu'on voit d'abord chez une femme, le visage ou les yeux ? Les yeux, diront les imbéciles. Les imbéciles parlent toujours trop vite. Georges Franju, qui aimait sa mère, qui l'aimait au point de mourir de tristesse quelques mois après elle, et qui n'était pas un imbécile, pensait évidemment le contraire, comme tous ceux qui ont les moyens intellectuels et humains de réfléchir à ce qu'ils vont dire avant de le dire. Les Yeux sans visage, le plus beau film fantastique français, le plus effrayant aussi, parle des yeux qui se cachent sous le visage des femmes. Il parle du visage qui se cache sous ces yeux, du visage qu'on ne voit pas, qu'on ne voit jamais. Enfin, ce n'est pas complètement vrai. Ce visage invisible, ce visage interdit, on le voit une fois. Sans s'attarder. Sans la complaisance des cinéastes voyous, comme dans les Rivières pourpres (11h45, Canal + bleu), l'un de ces trop nombreux films sauvés par une image trop sale et une musique trop forte. La caméra de Franju ne laisse pas le temps de voir ce qu'on veut voir, le visage à vif d'Edith Scob, ce visage qui n'en aura jamais. Reste l'oiseau blessé, le petit oiseau brisé, désarticulé, défiguré, qui regarde au-delà de lui-même, là où il n'y a plus de regard, là où il n'y a que du regard.

Là où ça regarde, c'est là que Franju veut t'emmener. Toi qui ne fermes pas les yeux devant l'innommable, toi qui laisses la pulsion scopique t'écarquiller au monde, toi qui perds pied devant les images que tu n'as pas vues, c'