Comment un jeune homme de 20 ans à peine peut-il écraser la tête d'un Arabe à coups de pierre, abattre un blessé à bout portant, violer en réunion? C'est pour répondre à cette question que Patrick Rotman a réalisé l'Ennemi intime, plongée au coeur des violences, au coeur des ténèbres de la guerre d'Algérie. L'historien boucle ainsi vingt-cinq années de travaux écrits ou filmés sur ce conflit colonial encore largement tabou, cette Guerre sans nom (pour reprendre le titre du remarquable documentaire qu'il cosigna avec Bertrand Tavernier) qui demeure une «faille majeure de l'histoire de France contemporaine». De 1954 à 1962, 2 300 000 soldats français «servirent» en Algérie. Une vingtaine d'entre eux, appelés, engagés ou harkis, soldats ou officiers, ont accepté de témoigner, certains pour la première fois. Résultat: trois heures vingt d'un documentaire dont on ressort sonné. Par l'ampleur des exactions racontées par ces hommes qui n'étaient pas, pour la plupart, des spécialistes du renseignement et des brutes épaisses, mais des Français ordinaires ayant accompli des actes dont jamais ils ne se seraient crus capables. Mais aussi par l'écho angoissant que ces récits d'une jeunesse brisée projettent en chaque spectateur: «Et moi, qu'aurais-je fait si j'avais eu 20 ans dans les Aurès?»
Loi du talion. La force de l'Ennemi intime tient à l'imbrication de l'individuel et du collectif, du psychologique et de l'historique. A l'écran, les témoignages individuels, souvent en plans serrés,