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Libération
Critique

La Racine du coeur

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Canal +, 0 h 15.
publié le 9 avril 2002 à 22h58

Arrive un moment, depuis longtemps déjà, que les rivages du cinéma américain sont plus familiers ici bas que tout autre, et qu'un film portugais, par exemple, ressemble à la végétation d'une autre planète, dont on se souvenait bien qu'elle existait mais qu'on croyait disparue, car trop gracile, trop radicale, trop solitaire. Paulo Rocha, considéré comme l'inventeur du cinéma novo (Vertes années, 1963), cinéaste aussi incandescent qu'énigmatique, auteur notamment du palpitant Fleuve d'or, chante avec cette Racine du coeur les vertus mélancoliques de l'amour et de la fête dans un Lisbonne lancinant, entre Moyen Age et New Age, passé et avenir, entre la saudade lyrique des espoirs castrés et les signes annonciateurs d'un nouveau fascisme. Le film ne ressemble à rien d'identifiable, comédie musicale, drame psychologique, farce et fable politiques. On y distingue toutefois une curieuse rencontre, exactement comme si un car de CRS venait de débouler en plein carnaval de Rio. Comme si l'ordre moral de la vieille Europe entrait physiquement, plastiquement, en contact avec le chaos métissé du nouveau monde. Lisbonne est bien ce point névralgique où blancheur et noirceur entrent en fusion. Des miliciens clandestins cassent du travelo la nuit tombée, des drag-queens voilées en mariées de la Saint-Antoine préparent leur vengeance à la lueur des lampions. Un politicard démagogue traque sexuellement une jeune fille (Joana Barcia) qui garde enfoui son secret. Elle porte une perruque blonde