Vincent a une vingtaine d'années. Dans sa cage d'escalier, il y a une croix gammée. Vincent ne sait pas trop ce que ça signifie. Dans sa cage d'escalier, il y a des graffitis partout, des boîtes aux lettres déboîtées, et plus de vitre à la porte d'entrée. Vincent vit à Calais: «A Paris, ils s'en foutent de nous.» Vincent aimerait qu'«ils» s'occupent des pauvres Français, des Français pauvres, des SDF. «Le Pen, on comprend ce qu'il dit», dit Vincent. «Comment il s'appelle ? Hil-ter ? Hit-ler ?» C'est comme la croix gammée, «Hilter», Vincent ne sait pas trop. Son sourire de footballeur du dimanche est d'ange, vraiment. Que faire et comment dire ? On aimerait lui parler, causer foot avec lui, jouer au ballon, une passe, deux passes, et dribbler l'adversaire, un grand pont contre Le Pen.Ê
Romuald a 18 ans. Un Calaisien, lui aussi, dans Zone interdite (M6). Les étrangers, il dit savoir. «Y a que ça au lycée.» Et puis, comme dit son père, c'est toujours les mêmes qui foutent la merde. Son père est videur. Le Pen partout, Le Pen sur toutes les chaînes. Le fiel en prime-time. La défaite sous nos yeux. Sa victoire hertzienne. Egalité de parole logique, normal. Et c'est la grande déprime du téléspectateur. Le Salaire du zappeur, écrivait Daney. Plus que jamais. Ça fait beaucoup en huit mois. Deux tours le 11 septembre. Un tour le 21 avril. Et le monde qu'il faut regarder en face. Romuald parle avec Ben, son pote pakistanais. Pour la première fois, ils discutent politique. Ben a la vo