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Libération
Critique

Days of Glory

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Ciné Classics, 3 h.
publié le 28 juin 2002 à 0h07

Jacques Tourneur n'existe pas. Il est devenu un fantôme à force de timidité militante, d'obstination, de réserve. Etre le fils de son père l'a beaucoup aidé. Maurice Tourneur, metteur en scène et confident de Greta Garbo, se faisait conduire sur Hollywood Boulevard en limousine avec bar en acajou et chauffeur en livrée. Il était brillant, élégant, séduisant. C'était l'un des seuls Français à parler au porte-voix aux stars et aux starlettes plantureuses et muettes. Au début des années 1910, le petit Jacques était à ses pieds, ne perdant rien de cette vie de bohème. Il savait que son père était l'un des rares artistes des grands studios capitonnés, fort de ses années de collaboration avec Rodin et de son expérience d'acteur sous la direction du grand Antoine. Dans son ombre, le petit Jacques rêvait d'être aussi célèbre, aussi mince, aussi beau. Il avait toujours quelques kilos de trop. Il avait peur de tout, même de son ombre. Surtout de son ombre. Des années plus tard, dans des films à petit budget, il filmerait mieux que personne (mieux qu'Hitchcock en tout cas) des bêtes invisibles et des morts vivants.

Quand il se cognait à une chaise, Tourneur lui demandait toujours pardon. Il parlait aux chaises et aux morts vivants. Toute sa vie, il s'est privé de tout. Même le cinéma, il a d'une certaine façon évité d'en faire. A chacun son effroi, son territoire, ses rêves privés. Quand il se levait, il prenait soin de ne pas faire de bruit. Il disait que c'était pour ne pas réveiller