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Libération
Critique

Bande à part

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Cinétoile, 0 h 35.
publié le 5 juillet 2002 à 0h19

Marie. C'est toujours Marie. Karina s'appelle Marie, Wiazemsky aussi. Boudeuses, elles prient Dieu dans les coins mal famés des films de leur amant, un calviniste mao du nom de Godard. Godard, rappelez-vous. C'est ce jeune homme brun, tellement brun qu'il semblait toujours mal rasé. Dans Lolita, James Mason prévient Sue Lyon : «I'm a twice a day shaver». Godard, c'est ce jeune homme brun à l'inélégance chic, conservateur, réactionnaire même, qui pose en romancier NRF. Il a tout ce qu'il faut pour être un grand écrivain. Sauf qu'il rencontre un jour, dans un sous-sol mal éclairé, un film qui tremblotte, un Renoir ou un Griffith, un film de cinéma. «L'écrivain sera cinéaste ou ne sera pas», pense le jeune écrivain mal rasé. Que se serait-il passé s'il avait troussé quelques pages à la hussarde, à la cosaque, au lieu de jouer au cinéaste ? Avait-t-on vraiment besoin d'un second Jacques Laurent (qui a donné un sérieux coup de pouce au jeune Godard, soit dit en passant), d'un second Cécil St. Laurent ?

Bande à part est un grand film classique, le seul Godard (avec les Carabiniers) à ne pas sortir d'un tournage catastrophique récupéré in extremis au montage. L'art de Godard, celui pour lequel on l'aime, c'est celui du cut up, de la fiction recomposée en puzzle. Godard, c'est celui qui met Marie sur le trottoir, et qui, en venant relever les compteurs dans la salle de montage, se rend compte qu'il n'a pas fait Loulou (celui de Pabst avec Louise Brooks, évidemment). En quelques coups