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Libération

Pain noir

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publié le 30 août 2002 à 0h48

Il y a du thé dans les verres dorés, de l'orangeade sur la table basse, et aussi des makrouds luisants. Nous sommes à Lyon. Dans le canapé bleu, grand-mère Dryra sourit à Camilla, sa toute petite-fille. Elle lui a demandé : «Tu es Française ou Arabe ?» «Les deux», a répondu l'enfant. Dryra fait un geste d'impuissance. Tout à l'heure, elle lui disait : «Tu parles le français, il faut aussi que tu apprennes l'arabe. Tu es une fille arabe.» L'enfant dit oui, rit des yeux, les jambes entortillées dans sa robe rose. Maintenant, foulard blanc sur la tête et lunettes d'écaille, grand-mère lui raconte (1). «Voilà, je rentre dans la boulangerie pour acheter du pain et, derrière moi, deux dames européennes.» Une histoire de jeunesse, de là-bas, de chez elle, dans une Algérie alors privée de drapeau. «Le boulanger les a vues, tout de suite, et il leur a servi deux gros pains marron sur le comptoir.» Camilla écoute, bouche ouverte. «Moi, je n'avais jamais vu ce pain. En arabe, j'ai demandé au boulanger : "S'il vous plaît, c'est quoi ce pain ?"» Un instant, Dryra fait silence. Nous regarde. «Il m'a répondu en arabe : "C'est du pain de seigle."» Elle se redresse. «Alors moi, je réponds en français : "C'est ça le pain de seigle ?"» D'un geste, elle mime l'ironie du commerçant, qui dit aux deux femmes : «Oh, la mémé qui parle français !» Bon sang. Racontant cela, tant de temps après, Dryra fait toujours face au gars de la boulange. Elle a mis son front de taureau. «ça vous étonne que je par