Cela se passe en ce moment au Rwanda. Sur les collines vert tendre, bourreaux et victimes d'un génocide vieux de seulement huit ans s'apprêtent à vivre des milliers de Nuremberg miniatures. Au moment même où se mettent en place les tribunaux Gacaca, chargés de juger des dizaines de milliers de génocidaires, le passionnant documentaire d'Anne Aghion montre bien l'originalité et les limites de cette expérience sans précédent. Une justice populaire et traditionnelle est-elle adaptée à des crimes de génocide ? Comme l'explique la réalisatrice, «c'est comme si on avait réuni la Pologne, l'Allemagne, la France et Israël au début des années 50, avec les victimes et les bourreaux à l'intérieur des mêmes frontières». Et qu'on les avait confrontés dans l'enceinte de tribunaux villageois...
Le génocide rwandais de 1994 a ceci d'exceptionnel qu'il a été commis par des gens ordinaires, des connaissances, des voisins armés de simples machettes qui allaient massacrer comme on va au turbin, aux heures ouvrables. Un génocide démocratique où paysans, prêtres, professeurs d'université et militaires ont pour une fois été égaux : tout le monde a participé. Le lendemain, ça recommençait. Les vieillards, les femmes, même les bébés, tous, jusqu'au dernier : «Un jour, ils grandiront et voudront se venger.» Puis on repartait dans les collines attraper des Tutsis. Ceux qui restent parlent d'une voix blanche, les yeux écarquillés, comme s'ils regardaient en eux-mêmes au fond d'un puits sans fond. En tro