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Libération

L'étoile

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publié le 25 octobre 2002 à 1h32

C'est une femme qui évoque l'enfant qu'elle était. Chacune de ses phrases est faite de geste et de silence. Parfois, elle regarde longuement le sol, l'autre côté, ailleurs. Elle s'efface un instant. Puis reprend, essoufflée, comme revenant de loin. Son sourire est étrange, tout plein de son contraire. Son regard dit aussi un peu tout, et tristesse et bonheur. Souvent, un masque brusque ses traits. D'autre fois, elle rayonne. Ses yeux sont rieurs, mais le sanglot n'est jamais loin. Agnès est juive. Elle raconte (1).

«C'était marqué de bien coudre l'étoile sur les vêtements. Je me souviens que ma mère commençait à la coudre sur ma petite robe rose à smocks. Je trouvais ça abominable. Cette robe était jolie comme tout. Une étoile jaune, sur une robe rose. Alors, elle la cousait avec de grands points, pas d'une façon méticuleuse. Et ça nous a sauvé la vie. On savait qu'on allait être déportés.»

«Je ne savais pas lire mais je jouais du piano et, le soir du 15 juillet, ma mère m'a dit : "Joue, ma fille, fais-toi la dernière fois." Alors, j'ai joué deux heures, avec la fenêtre ouverte. On s'est couchés tard. A trois heures du matin, on a frappé. La police. Ma mère a dit à mon père : "N'ouvre pas. La porte est blindée, qu'ils l'enfoncent." La concierge, qui était derrière, criait : "Allez-y ! Allez-y ! Ils sont là, je les ai vus monter !" Alors mon père a ouvert la porte. Dans les escaliers, ma mère disait : "Ne prenez pas la petite ! Ne prenez pas la petite, elle est française !" Il