Une mode sous-cinéphile, pis qu'une tendance mortifère, qui reprend les pires défauts de la cinéphilie auteuriste des années 50-60, veut que les derniers films des cinéastes soient les plus beaux. Des films tenus pour du pipi de chat il y a trente ou quarante ans deviennent des oeuvres de chevet pour au moins deux générations d'amateurs de nostalgie et de dévédéphilie galopante. Non que la Prisonnière du désert, Psychose ou la Soif du mal, pour prendre trois des films les plus révérés de Ford, d'Hitchcock ou de Welles, soient de mauvais films. Ils sont simplement moins exaltés, moins inspirés que Steamboat Round, les Trente-Neuf Marches ou la Dame de Shanghai, sublimes films de jeunesse de ces cinéastes, des films où naît le cinéma. Et, tant qu'à choisir dans les derniers films, les Deux Cavaliers sont plus étonnants, plus fordiens, que la Prisonnière du désert, Marnie, plus inquiétant, plus hitchcockien, en un mot, que Psychose. Quant à Filming Othello, le dernier vrai Welles, une merveille en forme d'ovni, bricolée du côté de l'Allemagne et oubliée dans des filmographies officielles, il surpasse en étrangeté et en poésie la Soif du mal.
Il faudrait parler d'exaltation testamentaire. On relevait il n'y a pas longtemps quelques lignes d'une journaliste spécialisée, pas la pire, mettant l'accent sur «le grand cinéaste des femmes qu'est John Ford». Féminin, Ford ? Féministe, Ford ? Ciné Cinéma Classic programmait il y a quelques jours un médiocre mélo fordien, Pilgrimage (1932)