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Libération

L'invitation

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publié le 14 novembre 2002 à 1h45

Vladimir Poutine sourit. Juste un trait de lèvres, quelque chose de blafard, de timide et de triste. Nous sommes à Bruxelles, lundi dernier, lors de la conférence de presse finale du sommet Union européenne-Russie. Le Président russe prend place derrière un micro, à la grande table, entre le drapeau européen et les couleurs du Danemark, pays qui préside l'Union. Durant les travaux, personne n'a évoqué les droits de l'homme en Tchétchénie. Pas même une allusion dans le communiqué final. Alors, Poutine écoute la presse, répond, note, crayon en main et toujours détendu (1). C'est au tour d'un journaliste du Monde. Dans le silence de la grande salle, sa question en anglais. On entend «Tchetchenia.» Poutine se raidit, écrit toujours, regard baissé. Un sillon vient de naître entre ses deux yeux. «L'usage de bombes à fragmentation ne va-t-il pas conduire à éradiquer la population tchétchène sous prétexte d'éradiquer le terrorisme ?» demande le Français. Au mot «éradiquer», le Président russe relève brusquement la tête. Comme un réveil soudain. Comme un chasseur figé par le craquement d'une branche. Il n'a plus de bouche, son front est une ride. Il est tendu. Il regarde en l'air. Il semble chercher un mot, une formule, une idée. On ne lit pas de colère, pas d'inquiétude non plus. Une sorte d'attention brutale, de stupeur. Ses narines s'ouvrent d'instinct, ses joues se creusent. Il serre les dents. Il plisse ses lèvres. Vladimir Poutine a quelque chose de nouveau dans le regard. Vlad