Un spoutnik. Délire minutieux, truc de copiste ayant la beauté factice des enluminures restaurées, des reconstitutions absurdes. Alexeï Balabanov a cassé la baraque en Russie avec Brat, polar invisible ici, puis avec Voïna («la guerre»), émanation stallonienne du conflit tchétchène (avec prise d'otages et dénouement brutal, tiens). Entre les deux, il fit Des monstres et des hommes (1998), opus à l'étrangeté hyperfabriquée et néanmoins assez stupéfiante, avec des plans à tomber raide de nostalgie. Car, avec son maniérisme exacerbé, le film réussit à ressembler, sans mettre jamais son unité en péril, à Dostoïevski autant qu'à Tod Browning, aux énigmatiques films muets en même temps qu'à un songe postmoderne au bord d'un fleuve en plein dégel. Le film se propulse aux origines du cinéma, précédé de peu par la photographie, et raconte comment les premières images, inévitablement, n'ont pensé qu'à immortaliser des paires de fesses sous la caresse langoureuse d'un fouet. Dans une orgie de variations sépia, Balabanov recourt à l'esthétique XIXe du daguerréotype et à une atmosphère de feuilleton à la Eugène Sue pour créer deux malfrats pervers (trafic de photos osées dans un Saint-Pétersbourg encore tsariste), une jeune fille de bonne famille en cours de déniaisement et deux frères siamois accordéonistes. Le charme du film vient de ce qu'il délaisse son symposium tarabiscoté sur images et pornographie pour se laisser entraîner par le va-et-vient incessant de personnages dont les moti
Critique
Des monstres et des hommes
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par Isabelle POTEL
publié le 22 novembre 2002 à 1h51
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