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Libération
Critique

Un muet mugissant

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publié le 20 décembre 2002 à 2h13

Comme si Flaherty avait couché avec Eisenstein, ou plutôt comme si le lettrisme avait fait naufrage en mer. Etrange film muet de 1920 réalisé par Marcel L'Herbier à partir d'une nouvelle de Balzac, qui enregistre une symphonie déconcertante entre les mots et les plans, texte et visuel en quête d'une dimension commune, d'une matière en fusion, d'une écriture impure. Les intertitres se baladent non plus entre, mais dans l'image qu'ils recomposent à leur gré ; celle-ci à son tour vient recouvrir les mots comme vague incontrôlable ; des fenêtres de lumière s'ouvrent et se ferment au milieu des plans soumis aux diktats de fondus déchaînés, de ralentis, de fermeture à l'iris, de plans de coupe fichés comme des banderilles sur leur dos ou en plein coeur. Ballet très construit où mouvement filmé et incrustation langagière se partagent le boulot équitablement, au risque d'ailleurs d'une certaine redondance : travail graphique en perpétuel bouleversement, emporté finalement par la puissance du sujet et sa représentation synchrone, l'océan, comme si le ressac prenait le pouvoir et se chargeait du découpage, projetant son écume féconde sur les rochers comme sur la pellicule, visant, plus loin, la terre ferme et la ville où les hommes s'égarent. Même source d'inspiration que l'Aurore de Murnau, la bascule de la pureté des éléments à la facticité éblouissante de la ville, l'Homme du large raconte le drame d'un pêcheur dont le fils chéri tourne mal (déteste la mer, n'aime que le cabaret).