Un lopin de terre. L'un de ces jardins ouvriers comme il en existe partout en France. Ici, c'est à Tourcoing, rue des Martyrs, entre des HLM et une route nationale. Amar, Bachir, Mohamed et les autres y cultivent tomates, piments, courgettes... Ils binent, sarclent, arrosent et se vannent : «Vous n'êtes pas dégourdis à Constantine !» Avec humour et dérision, ils racontent la misère, l'odeur des figues mûres au bled et, surtout, l'exil. Les «sacs d'argent» qu'ils pensaient remplir en une année. Leurs enfants sont venus, ils sont restés.
A deux pas, d'autres jardiniers, des retraités français à l'accent ch'ti si prononcé qu'on leur a mis des sous-titres. Roger, responsable de l'ouverture des vannes pour l'arrosage, raconte que l'eau cristallise ici les tensions. C'est une «obsession» pour les Arabes, estiment les Français, «ils n'en ont jamais assez». Comme si l'eau symbolisait le pain que ces étrangers viennent manger, mais, devant la caméra, on reste très courtois. «Quand on était avec la France, on était des gens bien, commente l'un des Algériens, le jour où elle nous a amenés ici, elle nous a laissé tomber.» Tous n'étaient pas du même bord pendant la guerre d'Algérie. Certains ont porté des valises pour le FLN. D'autres, harkis, ont combattu dans le camp français.
Des deux côtés, ils disent «la contrainte et la peur». «Vous discutez de la guerre avec eux [les Algériens, ndlr] ?», interroge la réalisatrice, Leïla Habchi. «Non, j'aime mieux pas, explique un ex-appelé français.