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Libération
Critique

Le labyrinthe Borges.

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publié le 5 juin 2003 à 23h16

L'entretien biographique qui vertèbre le documentaire précis et didactique d'Alain Jaubert date de 1972. Jorge Luis Borges a 73 ans. Il parle en français. Observez le vieil oedipe tendu sur un canapé de cuir, main sur sa canne de bois, comme un chevalier derrière l'épée. Il est célèbre. Il est aveugle depuis 1955, année où il fut nommé directeur de la bibliothèque nationale de Buenos Aires : son destin ressemble à l'un de ses contes ou de ses poèmes. Il en a la cruauté concise, la violence stoïque, le lyrisme aiguisé sur un granit au crépuscule.

Borges rappelle qu'il a su dès l'enfance qu'il passerait sa vie dans les livres, qu'il ne sortirait jamais de ces langes épiques de mémoire et d'encre. Il évoque son grand-père, le colonel Francisco Borges, tué au combat en 1874, et son père, avocat et psychologue, deux hommes qu'il admirait. On voit et on entend sa mère, à 93 ans, qui passa sa vie à lire des textes à deux aveugles, son mari puis son fils. Borges parle enfin des mots que son oeuvre a digérés, transformés : «C'est vrai que le tigre ­ avec le miroir, le poignard, le labyrinthe ­ a été l'une de mes obsessions. Quand je vois ces mots dans une page, je tâche de les raturer, parce qu'ils me ressemblent trop.» Enfin, il récite le début de la Milonga des deux frères. Elle fut publiée en 1965, dans un recueil de milongas intitulé : Pour les six cordes. Borges aime les voyous argentins de Buenos Aires, ceux des faubourgs de son enfance, ces compadritos qui jouaient volontiers d