Les images que nous allons voir sont les rushes du film le Cas Pinochet, de Patricio Guzmán. Ce sont des images qui prennent le temps, et laissent une place au silence. Voici Juana. Elle est chilienne. Arrêtée en 1980, à 23 ans, pour son appartenance au Mouvement de la gauche révolutionnaire, Juana a été longuement torturée. Elle a été battue, droguée, humiliée, ligotée nue et jambes ouvertes sur un lit de fer, une éponge mouillée dans la bouche, un bâillon sur les lèvres et des électrodes partout en elle. Après quatre années de détention, elle n'a été condamnée qu'à 101 jours de prison, libérée et exilée en France durant sept ans. Aujourd'hui rentrée au Chili, elle doit pointer à la police, chaque mois et pour cinq ans. Elle n'a aucun droit civique et ne peut exercer son professorat de philosophie. Devant la caméra, elle murmure. Il faut donc écouter. Elle nous dit qu'en captivité, elle chantait (1).
«J'ai côtoyé des camarades qui ont accouché en prison. Des femmes qui étaient enceintes d'un mois au moment de leur arrestation. On avait donc deux enfants avec nous, Elisa et Manuel. On s'est occupé d'eux. Elisa n'avait pas de père, il était mort. Et le père de Manuel était prisonnier. Alors on chantait. On chantait beaucoup. Et on a chanté plus encore quand ils nous ont transférées à la prison pour hommes. Parce que c'était un établissement pour droits communs. Ils faisaient énormément de bruit et étaient très violents. Alors, pour endormir les enfants, on chantait. A l'époque