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Libération

L'étreinte.

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publié le 18 septembre 2003 à 1h02

Nous sommes avec Ronny Cushing, à New York, le 2 novembre 2002. A ses côtés, Aïcha El Wafi. Il est Américain, opposé à la peine de mort. Elle est française, et mère de Zacarias Moussaoui, inculpé pour les attentats du 11 septembre. En secret, Cushing lui a organisé un rendez-vous avec des familles de victimes (1).

D'abord, la caméra de Thomas Johnson et Emmanuel François ne peut entrer dans la pièce. Elle reste sur le seuil, filme un filet de lumière derrière de la porte et aussi le couloir sombre de boiseries anciennes. A peine entrée, nous dit le commentaire, une mère de victime se précipite dans les bras d'Aïcha El Wafi. Elle porte un micro. Nous ne voyons pas. Mais nous écoutons. D'abord, il y a tout ces tissus froissés, l'étreinte fiévreuse de deux étoffes. Aïcha dit bonjour. Elle pleure le mot, elle le tremble. Dans le bruissement, on entend un sanglot de femme, puis deux sanglots mêlés, deux longues plaintes, deux gémissements, deux souffles à bout. Nous regardons les panneaux de bois. L'une des mères respire mal, renifle, ses hoquets faiblissent. Elles se tiennent serrées, elles suffoquent, tête enfouie l'une en l'autre. «Mère... Mère... Mère...» La voix chancelante d'Aïcha El Wafi, qui répète trois fois ce qu'elle est, et ce qu'elles sont. «Je suis contente de vous voir», dit-elle encore. Elle geint. Elle a du mal. A chaque phrase un pleur lui répond. «Mon coeur est avec vous... Je n'ai pas de mot à vous dire... Mon regret... Tout ce malheur... La bêtise des hommes.»